13 mai 2015 - Pérou, , Trekking, Peuples et fêtes

Début avril, Jean-Patrick Costa, anthropologue de la santé et spécialiste de la Haute Amazonie accompagnaient trois participants de Tamera dans un voyage initiatique à la rencontre des Matses, un peuple non contacté depuis au moins 12 ans par des occidentaux. Invités par eux, ils allaient réaliser la première traversée intégrale de leur territoire en pleine jungle et découvrir un peuple fort de sa connaissance de la grande forêt. Découvrez ce récit extraordinaire et rejoignez Jean-Patrick à l’occasion de deux autres départs prévus dans les 12 mois qui viennent. Découvrez également la conférence passionnante de Jean-Patrick sur les indiens d'Amazonie réalisée en mai dernier.

 

Une expédition au cœur de l’Amazonie péruvienne

Jeudi 2 avril, 5h30 du matin, au sortir d’une nuit de déluge sur Iquitos en ce Jeudi Saint, nous apprenons que la route pour Nauta est coupée par un éboulement. Les dieux nous seraient-ils contraires pour cette première ? Ce sera en fait la seule grande averse et le seul obstacle à notre périple de près de 500 km en direction des sources du mythique fleuve Yavari, l’endroit au monde où se trouvent le plus de tribus encore non-contactées.

Philippe, Claude, Gilbert et moi, accompagnés d’Esteban, notre coordinateur Matses, changeons nos plans et embarquons alors sur une pirogue rapide pour rejoindre le début de notre trek dans la jungle qui allait nous amener en territoire Matses pour une douzaine de jours.

   

 

Les Matses se sont ouverts au monde extérieur en 1970 pour s’en retirer dès 1972 pour trente années

Un voyage initiatique auprès d’un peuple qui s’est ouvert au monde en 1970 pour aussitôt se refermer pendant 30 ans jusqu’en 2002 autour de deux sœurs missionnaires américaines fanatiques, Harriet Fields et Hattie Kneeland, alias Luisa et Enriqueta. Depuis 12 ans, aucun occidental n’était venu les rencontrer et nous allions être les premiers à les redécouvrir et certainement les premiers à traverser à pied intégralement leur territoire.

En deux jours de navigation soutenue (260 km), nous laissons les eaux immenses de l’Amazone et de l’Ucayali pour pénétrer dans les eaux noires du Tapiche et enfin bifurquer sur les eaux blanches du Rio Blanco, chaque fois plus enserrés par la forêt.
Au poste de police de Curinga, le personnel est incrédule, nombreux sont les aventuriers qui sont parvenus à ce poste frontière avec l’intention d’entrer en territoire Matses… sans jamais y parvenir. Aujourd’hui, tous les signes indiquent que nous, nous allons réussir : tout d’abord, nous avons obtenu les autorisations officielles de la Junta Matses et de la Réserve Nationale Matses, et surtout ce matin, sont arrivés des « Bonnes Collines » à 50 km de là, sept porteurs Matses dont une femme pieds nus, qui campent là en toute sérénité, indiquant aux gardes que nous sommes attendus dans leurs villages…

   

 

Première traversée intégrale du territoire Matses, à moins de 10 km des Korubo, une des dernières tribus non contactées

Nous voici donc au pied de notre Himalaya, 41 km de traversée en ligne droite, des dizaines de rivières à traverser et un vaste marais nous attendent. Il nous faudra quatre jours pour parvenir au premier village, puis un cinquième jour de trek pour arriver à la frontière brésilienne sur le Rio Yavari.
Nous nous nourrissons de banane plantain et de viande de chasse pendant tout le parcours qui s’apparente à un parcours du combattant malgré les aménagements que nous construisent les indiens au fur et à mesure : nombreux passages sur des troncs agrémentés de mains courantes pour nos équilibres fébriles d’occidentaux !

« Tapu Wirambo Iké » scandent à tour de rôle nos porteurs, Daniel, Hector, Roger, Guillermo, Noémie, dans la bonne humeur : « Je fais de beaux ponts (ndlr pour que vous puissiez passer) ». Et ce sera le leitmotiv de ce périple !
Malgré les difficultés de progression, le groupe est harmonieux. Arrivés à chaque bivouac, les tâches se répartissent naturellement : quatre porteurs s’occupent du campement et des abris à monter, un autre du feu, un autre de la chasse et de la pêche, Noémie est à la cuisine. Ils sont notamment très impressionnés par l’âge de nos randonneurs, plutôt seniors, un âge qui les replongent à l’époque d’avant le premier contact… Emotion intense de nos hôtes Matses qui nous confient alors être les derniers remparts des Korubo, une tribu parente non contactée vivant à peine à une dizaine de kilomètres de là.

   

 

Emotions fortes en arrivant dans les premiers villages Matses

Puis nous arrivons dans les premiers villages, premiers visiteurs occidentaux depuis une décennie. Les enfants sont timorés, certains se cachent. Les adultes dont très peu parlent espagnol, chuchotent entre eux : « Ils sont passés, ils sont parvenus jusqu’à nous ! On n’y croyait plus… ».

Pour moi, l’émotion est grande. Il a fallu un an de préparation pour cette première expédition, de nombreuses discussions avec les instances dirigeantes et pour la Junta, convaincre les familles réticentes qui ont peur des nouvelles maladies qui touchent notamment les Marubo (hépatite B).

Sur place, tout est à inventer, où allons-nous dormir, manger ? Expliquer pourquoi nous sommes là, accompagnés d’occidentaux qui viennent de si loin. Par modestie et pudeur, les Indiens ne souhaitent pas être pris en photo, ils ont troqué leurs habits traditionnels pour mettre leurs T-shirts les plus récents, ils s’empressent de chercher à nous vendre leur artisanat d’une extrême finesse qui n’a plus de débouchés depuis le départ des missionnaires.

Au hasard du voyage, notre coordinateur me suggère d’aborder un nouveau village avec le salut typique des Matses : « Ara Shuinté Cuestano ? » qui veut dire « As-tu chassé un paresseux à deux doigts ? ». Nous réalisons alors que les Matses ont un lien tout particulier avec cet animal et que notre première entrée dans leur territoire est bénie par les esprits de la forêt, puisque nous avons rencontré ce mammifère durant notre marche jusqu’à eux et que tous le savaient ! C’est un point fort, sur lequel nous allons jouer.

Avec Esteban, nous mettons en place une visite systématique des plus anciens des villages, ceux qui ont plus de 60 ans. Notre démarche suscite l’étonnement, les touristes blancs s’intéressent à nos traditions, à nos chamans… Ils font revivre le passé… Ces rencontres valorisent une génération « oubliée » voire « refoulée », par ailleurs marquée au fer rouge, car tatouée au visage (standard de beauté rejeté par les missionnaires, mais qui se pratique encore de nos jours chez les Matis du Brésil). Qu’y avait-il de central avant Luisa ? Comment s’alliait-on avec les esprits de la forêt ?

   

 

Rêve de renaissance de la Maloca, autrefois au cœur des village Matses, et naissance d’un projet

Au fil des discussions, exclusivement en dialecte Matses, quelle ne fut pas notre surprise de voir ressurgir un rêve enfoui au plus profond de certains d’entre eux : Chubo Tsikakai, tel un cri d’espoir, la maloca ! Abandonnée et détruite depuis près de 40 ans, elle redeviendrait le centre du village, là où les anciens enseigneraient aux plus jeunes l’usage des plantes médicinales, là où l’on apprendrait les danses et les chants traditionnels, là où les hommes renoueraient avec le Cuenden Quido (la cérémonie du tabac), là où on pourrait présenter notre artisanat et pourquoi pas, héberger quelques occidentaux de passage ! La boucle est fermée, le cercle vertueux mis en place !
Mais tout de suite une autre question émerge : Saura-t-on reconstruire une maloca ? Fort heureusement, il existe une dernière maloca sur le Rio Yavari, elle est côté brésilien à Treinta y Um. Nous décidons d’établir un premier contact avec ce village. Nos guides matses péruviens hésitent, ils n’ont pas pour habitude de les visiter, à fortiori avec des blancs… Le contact est froid: quelques mots à peine échangés, des regards interloqués et quelques coups d’œil furtifs vers la maloca… fermée (car en bien mauvais état), une photo prise à la dérobée, mais déjà… nous savons que le contact s’est fait : nous reviendrons dans quelques mois avec de nouveaux touristes : le projet « Maloca Matses » est en route !

   

 

Retour à la civilisation, nous sommes conscients de notre privilège et de notre responsabilité

Notre pirogue file lentement vers le poste militaire d’Angamos. Ce matin, nous prenons un avion militaire pour rentrer sur Iquitos et laissons les Matses sur les « Bonnes Collines ». Nous avons certes tous perdu 5 kilos (Philippe un peu plus !), mais avons gagnés de nouveaux amis que nous emportons dans nos cœurs…

Les Matses, comme d’autres peuples de la forêt amazonienne, ont bien conscience que leur forêt se meurt, que leur territoire se rétrécit de jour en jour. Le privilège qu’il nous offre en nous accueillant répond à la nécessité pour eux de s’ouvrir quelque peu au monde extérieur pour le sensibiliser à leurs enjeux. Pour moi, loin d’un tourisme de masse, il s’agit d’offrir à une quinzaine de participants par an, la possibilité de s’immerger dans leur monde pour témoigner et surtout soutenir leur cause, une fois rentrés chez eux. Leur survie passe par une certaine connaissance du monde moderne. Depuis 20 ans, je m’engage sur le terrain en essayant de redonner confiance à ces peuples, dans leur culture et leurs traditions. Cela passe par une prise de conscience pour eux que leur identité et leurs savoir-faire ont de la valeur aux yeux du monde dit « développé ». Les participants à nos programmes ont ce rôle de valorisation de la culture indigène, cette responsabilité.


Pour nous accompagner dans nos projets et dans nos futurs voyages vers les Matses et les Shuars :

Nous sommes repartis le 2 juin avec des participants pour continuer notre « travail » chez les Matses

Nous repartons le 3 novembre prochain. Il reste deux places (à saisir vite) pour novembre et deux pour mars 2016. Cliquez-ici pour en savoir plus.

Pour découvrir la conférence passionnante de Jean-Patrick sur les indiens d'Amazonie réalisée en mai dernier, regardez ci-dessous ou cliquez-ici.

Pour plus d’informations sur le Projet « Malocas Matses » : http://arutam.free.fr/Yavari_Matses.html et www.zero-deforestation.org/maloca_matses_yavari.php

   

 

Article écrit par Jean-Patrick Costa qui a accompagné ce groupe de trois participants

Jean-Patrick Costa est anthropologue de la santé, spécialiste de la Haute Amazonie, Jean-Patrick vit depuis plus de 20 ans auprès des peuples d’Amazonie dont il a publié plusieurs ouvrages. Jean-Patrick emmène, plusieurs fois par an, 2 à 4 participants en immersion auprès des peuples amazoniens. Il a fondé l’association Arutam Zéro Déforestation qui vient en aide aux peuples autochtones.

Crédits photos : © Arutam sauf photo principale au crédit d'Alicia Fox