24 mai 2016 - Éthiopie, Peuples et fêtes, Afrique

Étonnement et bonheur ... Émotion et espoir ... Voilà ce que suscite d'essentiel le pèlerinage de Sheikh Hussein dans les terres lointaines, volcaniques et arides de l'Éthiopie. Au cœur - ou au-delà - de l'exotisme immédiat des apparences et des pratiques, nous y retrouvons  l'humanité, notre humanité, dans le meilleur d'elle-même.

Ignorée des étrangers parce qu'elle est au bout du monde (...carrossable entres autres), cette fête rassemble la grande famille Oromo et des éthiopiens de tout le pays, de toutes les classes sociales, de toutes les religions, dans un esprit de respect, de tolérance et d'hospitalité exceptionnel. Une leçon particulièrement inoubliable dans le monde où nous vivons - déchiré et souvent défiguré par les conflits sociaux et religieux. La foule est grande mais de la paix et de la bonté règnent dans les gestes, les chants, les regards qui s'ancrent dans un temps immémorial, dans des coutumes et croyances ancestrales.

Intensité, bienveillance, ferveur et chaleur modulent l'ambiance rare d'un pèlerinage très émouvant.

 

 

Un pèlerinage, une légende, une marche

À l'image de tout grand pèlerinage, Sheikh Hussein c'est d'abord une histoire qui se fait légende, un désir qui creuse l'âme, une marche qui transcende la finitude des corps. À l'image de tout vrai pèlerinage, la promesse de guérison, de salut, d'une vie meilleure fait fi des confessions et des classifications sociales en parlant à l'homme démuni ou désespéré.

Se rendre à Anajiina, c'est croire que Sheikh Hussein (saint soufi des Oromos) et le dieu Waq qui veille sur la nature et les lieux vont accorder les bienfaits dont on a fondamentalement besoin: la santé et la guérison d'abord pour soi, ses proches et ses animaux, la fertilité de la terre, la fécondité de la femme, la nourriture, la paix avec les voisins ... Se rendre à Anajiina, c'est les remercier aussi de leurs écoute et générosité lorsque les espoirs ont été réalisés dans l'année. Aussi multiple que la demande la gratitude des coeurs baigne ces journée de fête. Et peines et misère autant que la joie font alors fraterniser les personnes, donnent un vrai répit aux rancoeurs et conflits.
Le temps et les embûches, la fatigue ne comptent pas pour y arriver: à pieds, à dos d'âne, en bus brinquebalant, seul(e), en famille, en communauté villageoise, ils arrivent de toutes les provinces d'Éthiopie. Et parfois ils ont marché plusieurs mois, les ballots sur le dos, la ulée* à la main ...

 

L'atemporel, des rituels archaïques

Il y a Sheikh Hussein et des menbres de sa famille que l'on implore et remercie à Anajiina, il y a le mausolée étincelant, la mosquée ... Mais il y a aussi la nature et les esprits de la terre: l'argile, l'eau, les souterrains. La mémoire animiste imprègne les implorations, la gestuelle, les incantations, le baahro*, le rythme des tambours, les transes nocturnes, ... La ferveur unanime s'adresse à l'univers en son entier même si, sans cesse, les miracles du Saint sont racontées.
Venir en ce lieu, c'est se couvrir le visage de terre blanche, c'est la manger, c'est la ramasser et l'emporter pour revenir à l'existence quotidienne, avec l'eau sacrée que l'on puise aux immenses bassins. Il faut aussi descendre les ravins jusqu'au fleuve et aux grottes: on raconte que le labyrinthe conduit jusqu'aux cavernes de Sof Omar; mais se faufiler dans l'étroit boyau qui l'amorce est déjà épreuve de pureté ...

Le mélange des religions, des spiritualités se vit avec une telle simplicité et une telle dévotion que les autorités religieuses - musulmannes - d'Anajiina participent infatiguablement, avec bienveillance à l'accueil de cette foule mystique qui s'abandonne à l'Esprit d'où qu'il souffle.

 

 

La halte, le temps du lien et du bivouac

Anajiina est un petit village calme, en temps normal. Durant les deux pèlerinage de l'année, c'est l'effervescence pour accueillir les milliers de pèlerins, repeindre les maisons, préparer les petits terrains. Il n'y a pas d'hôtel là-bas, ni même une modestes auberge - mais les habitants de Sheikh accueillent autant que possible les pèlerins chez eux et, pour les campements il y a de grands arbres ou, dans l'enceinte sacrée, une longue galerie. Les retrouvailles sont fréquentes car il est habituel de revenir au pèlerinage.

Pour chacun, après le pénible trajet, une vie provisoire s'installe avant de reprendre la piste. Il y a de petites marchandes pour le nécessaire - le bois est indispensable pour les marmites et les nuits d'échanges, des gargotes où prendre une soupe ou même une bière, l'ombre des arbres ou des parapluies pour les siestes, le khat et les palabres, lorsque l'on ne chante sur le parvis du mausolée, en prière dans son obscurité ou enlaçant ses murs ...
L'air vibre d'histoires individuelles et des prodiges accomplis par le Saint ...
Les matins sont souvent calmes car la nuit n'est pas en reste pour servir de théâtre à l'existence de cette provisoire collectivité spirituelle qui nous redonne avec fraîcheur et sérenité le goût de la simplicité, de la foi en l'homme et de l'espoir.
Belle consolation que procure la fascinante Éthiopie.

*La ulée: le bâton fourchu du pèlerin de Sheikh Hussein
*Le baahro: chants de la culture Oromo

 

En lien avec ce blog :

Retrouvez notre voyage dédié au pèlerinage de Sheikh Hussein

Retrouvez l'intégralité du reportage de Georges Courrèges sur Sheikh Hussein dans le numéro 7 (printemps 2016) de la revue ULTREÏA

Vous pouvez aussi consulter le portfolio directement sur le site de Georges Courrèges