02 juin 2021 - Asie centrale, Iran, Ouzbékistan, Culture

« De très belles plantes, de très beaux arbres aux feuillages fournis et aux fleurs somptueuses ayant poussé sur des terres d'une absolue diversité et sur des sols où l'humus des cultures précédentes s'était déjà accumulé au long des siècles et parfois même des millénaires, c'est, selon moi, la comparaison qui s'impose lorsqu'il s'agit d'évoquer la civilisation musulmane et toutes ses formes d'arts.» Anne Saurat-Anfray

Nombre de nos destinations sont imprégnées d'islam, à des degrés divers. La foi mahométane, née dans les déserts d'Arabie, s'est répandue sur une grande partie des terres du monde et a été la source d'une civilisation singulière marquant les villes et les espaces, déterminant les esprits et les mœurs de plusieurs peuples. En quatorze siècles environ, de l'Atlantique au Pacifique, du Maghreb à l'Indonésie, de la Mésopotamie à l'Asie centrale, en Europe, en Turquie et en Inde, avec des ramifications en Chine comme au Brésil, cette religion fut l'origine d'une production artistique exceptionnelle. Nourri des coutumes et de l'histoire des lieux d'implantation en s'évertuant de satisfaire partout aux mêmes normes religieuses, aux mêmes exigences d'une vie domestique, commerciale et publique soumise aux prescriptions islamiques, l'art musulman exprime une vertigineuse variété tout autant qu'une remarquable unité. Nous vous proposons donc, au fil de l'année, d'explorer, certains domaines artistiques, majeurs ou mineurs, révélant la créativité et l'esprit de la civilisation musulmane. Nous avons opté de faire notre première halte dans l'art architectural religieux qui s'est déployé sur les terres d'Asie centrale et de Perse.

Nawar - Iran - Mosquée de Naïn
Mosquée de Naïn, Iran © Nawar

 

Le rayonnement d'une religion ou l'art de bâtir 

Lorsque l'islam, convertissant les âmes et conquérant par les armes et par le commerce, étendit son aire d'influence au-delà des déserts natifs, la civilisation musulmane et son art durent s'élaborer et se développer dans des mondes déjà façonnés culturellement ; il fallait que la greffe prenne sans pour autant céder à l'essentiel car, où qu'il soit, le musulman doit pouvoir prier, être instruit des sourates, et reposer selon les prescriptions du Coran ; où qu'il soit, arabe, turc, persan, africain, hindou... le musulman doit pouvoir conformer ses mœurs et son action aux exigences de sa religion, exprimer sa louange au divin, honorer ses hommes saints et les chantres de la vie spirituelle. Il fallait donc construire pour se rassembler : dans tout le monde musulman, on trouve des mosquées, des maisons partagées avec d'un côté les hommes (le selamlik) et de l'autre les femmes (le sérail ou harem), des madrasa (les maisons d'études),  des zawiyas (les couvents), des palais, des fontaines et des bains, des bazars (artisanat et commerce), des caravansérails, des mausolées de saints et de poètes, des jardins... Cette unité de l'immense production architecturale, artisanale, artistique se déploie dans la diversité car il faut s'adapter aux géographies et climats différents, aux ressources et techniques des régions, aux traditions et pratiques locales... à l'esprit des lieux d'accueil.

L'architecture islamique révèle cette double dimension d'unité et de diversité. L'édification des monuments a dépendu des matériaux et de la climatologie des contrées : mosquées en pisé, banco ou en brique cuite, madrasas en pierre, tombeaux en moellon ou en brique crue ; et si l'arc, les piliers et les colonnes, la coupole et le minaret sont des éléments majeurs de cet art de bâtir, leurs formes, leurs hauteurs, leurs structures et emplacements, leurs décorations témoignent d'une inventivité infatigable pour s'accommoder d'un relief ou s'harmoniser à une ville, pour récupérer d'anciens temples ou inventer tout entièrement le nouvel édifice.

Par ailleurs, l'architecture islamique s'est développée autant pour répondre à des fonctions religieuses que profanes. Des bazars jouxtent des mosquées, madrasas et maristans (hôpitaux) étaient présents dans toutes les grandes villes, des palais côtoient des hammams (les bains), des fortifications abritent des jardins où s'érigent des mausolées, sans oublier les couvents abritant militaires ou mystiques, et les caravansérails des déserts et des villes...

D. Tracoulat - Ouzbékistan - Citerne Sardoba Rabati Malik   Nawar - Iran - Hammam de Kashan
 Citerne Sardoba Rabati Malik, Ouzbékistan © D. Tracoulat -                                       Hammam de Kashan, Iran © Nawar
 

 

La mosquée ou la maison des fidèles

Bien que le musulman ne soit pas contraint de faire sa prière avec d'autres croyants ni dans une mosquée – masdjid (« Là où t'atteint l'heure de la prière, tu dois l'exécuter et cela est un masdjid. » dit un propos attribué au Prophète) – car l'essentiel est d'avoir fait ses ablutions et de s'orienter vers La Mecque, le sanctuaire de la prosternation est, l'édifice religieux principal en islam. Autrefois, il désignait aussi la demeure de Mohammed à Médine, où la communauté des fidèles se réunissait autant pour traiter les affaires politiques, militaires, voire financières, que pour prier. Ce lieu, caractérisé par une cour centrale carrée sur laquelle s'ouvraient les chambres, va servir de modèle initial aux premières mosquées qui vont, avec des variantes, progressivement accroître leur dimension avec l'ajout de portiques, d'espaces couverts...

Si dans les quartiers se trouvent de petites mosquées pour les dévotions plus ou moins privées, il fallait néanmoins réunir la communauté entière le vendredi midi pour un service religieux comprenant une harangue, souvent à tonalité politique, et se terminant par une invocation de la grâce divine sur le souverain régnant. Ainsi, dans la prière communautaire, fusionnent le spirituel et le temporel, les intérêts d'ici-bas et la louange d'Allah. Aussi, est-il compréhensible que les grandes Mosquées du vendredi soient conçues pour manifester le pouvoir du souverain et la prospérité de la communauté et deviennent l'édifice public le plus important dans les cités, disposant aussi de salles pour accueillir les indigents et les voyageurs. Au cœur, le minbar, estrade servant de chaire à l'imam pour son sermon du vendredi, gagne en valeur au fil du temps, symbolisant « le trône » du Prophète et l'aspect théocratique de l'islam.

Deux éléments architecturaux acquièrent aussi une valeur symbolique et fonctionnelle majeure : le nihrab, niche aménagée dans le mur qibla (direction de La Mecque) qui se trouve au fond de toute salle de prière et le minaret pour l'appel à la prière - sur le toit des mosquées se trouvent souvent des chambres pour les muezzins.

Mosquée de Bibi Khanoum à Samarcande          Mosquée Nasir ol-Molk à Shiraz
Mosquée de Bibi Khanoum à Samarcande, Ouzbékistan © D. Tracoulat
  Mosquée Nasir ol-Molk à Shiraz, Iran © JC Deckmyn

Vers le IXe siècle, la taille de certaines coupoles gagne en ampleur mais c'est au XIe siècle, sous l'influence perse, qu'un remaniement notable vient renouveler l'apport des Ommeyades. Dans la réalisation architecturale iranienne qui rayonne ensuite dans les contrées d'Asie centrale, la voûte est particulièrement bien maîtrisée. Le lieu de prière réservé au souverain (maqsura) devient monumental : un pavillon à coupole impressionnante situé en avant du mihrab – comme à Ispahan ; la cour intérieure se voit flanquée sur ses quatre côtés de salles voûtées, les iwans, surmontés d'une coupole, reliés par des portiques souvent profonds s'étendant sur plusieurs rangs de colonnes ; cette cour se fait ainsi entrée majestueuse pour la maqsura. Par ailleurs, pour agrandir l'espace des mosquées, s'ajoutent des pavillons supplémentaires aux iwans principaux (modèle de la mosquée-kiosque). À la même époque, les minarets de plan circulaire se multiplient dans les mosquées, se dressant près des iwans et sur les sites du complexe cultuel jugés importants. Le porche des mosquées persanes se compose d'une grande voussure qui protège la porte d'entrée, encadrée d'une partie rectangulaire de chaque côté de laquelle s'élancent deux minarets ; ces splendides pichtaq font le bonheur de chaque approche de mosquée de style perse. Il est à noter que les dômes perses, se distinguent des dômes chrétiens et ottomans par l'application de carreaux colorés sur l'extérieur – contrairement à une utilisation majoritairemnt intérieure pour les autres.

Les mosquées sont évidemment sujettes à légendes et récits et sources de bénédictions diverses. Ainsi, la mosquée de Bibi Khanoum, source d'un sentiment mêlé à cause de sa démesure qui n'empêche néanmoins pas une ambiance de repos méditatif, est particulièrement aimée des femmes qui viennent y prier pour leur fécondité ; on raconte que son architecte, fou amoureux de Bibi Khanoum, suspendit la construction jusqu'à ce que la princesse lui donne un baiser ; en conséquence, Tamerlan décréta dès lors, pour la protection des femmes, le port du voile !

Mosquée du Chah à Ispahan                                JC Deckmyn
Mosquée du Chah à Ispahan, Iran © JC Deckmyn                       Mosquée Vakil à Shiraz, Iran © JC Deckmyn
 

 

La madrasa ou la maison de l'enseignement

C'est en Iran aussi que naît vraisemblablement le concept de la madrasa et, de ce fait, on retrouve cette origine perse dans l'unité architecturale qui les caractérise : pour l'ensemble, un plan cruciforme, à quatre iwans. Réaction sunnite à la propagande chiite, il semble que ce soit dans le sud iranien, à Nichapour, que le grand vizir seljouqide Nizam al-Moulk y édifia les premières. À Ispahan se trouve l'une des plus anciennes madrasas conservées, la Shah-i Mashhad datée de 1175. 

Dans l'enceinte des mosquées ou à proximité immédiate, une cour est entourée de chambres pour les étudiants sur deux étages et s'ouvrant par des loggias en arcs de carène ; jardin ou bassin d'eau procure le calme et la sérénité nécessaires à la concentration de l'étude, aux déambulations méditatives. 

Ce collège théologique, semblable aux universités médiévales, connut un grand succès dans le monde islamique. Symbole de l'étude et de la transmission de ce qui importe essentiellement dans le monde islamique – l'exégèse coranique et la théologie, l'étude de la loi islamique, le droit – la madrasa est aussi le lieu de la réflexion et de l'apprentissage des sciences profanes comme l'astronomie, la grammaire et la littérature arabes, les mathématiques, la logique, les sciences naturelles. Les madrasas eurent souvent, du moins dans l'aire perse, un destin architectural proche du monumentalisme et de la somptuosité des mosquées ; harmonie des formes et richesse des mosaïques caractérisent les portails d'entrée (pishtaq) des grandes madrasas comme celle de Cher-Dor. 

mausolee   Madrasa de Mir-i-Arab à Boukhara
Madrasa de Tchor Minor à Boukhara, Ouzbékistan © D. Tracoulat
 Madrasa de Mir-i-Arab à Boukhara, Ouzbékistan © M. Dozier

Loin de la foule de Boukhara, la madrasa de Tchor Minor offre paix et bonheur esthétique. 

De cette madrasa ne subsistent que l'entrée monumentale et quelques cellules. Construite en 1807 sur l’initiative de Nyazkoul-bek, riche négociant d’origine turkmène, séduit par sa visite du Taj-Mahal et qui aurait demandé aux architectes de bâtir un projet s'en inspirant. Tchor Minor signifie « quatre minarets ». Il s'agit en fait de quatre tours symbolisant chacune une ville : Termez, Denau, Kounia-Ourgentch et La Mecque. Néanmoins, une autre version prétend que ces tours-minarets reflètent les quatre grandes religions du monde, selon ce qui était la conception religieuse et philosophique du commanditaire. La coupole centrale symboliserait alors le ciel et le Créateur. 

Madrasa de Tchor Minor à Boukhara
Madrasa de Kashan, Iran © Nawar
 

 

Le mausolée ou la maison de l'épreuve

Entre sobriété émouvante et spirituelle et éblouissante demeure se tient le mausolée de la Perse et de l'Asie centrale.

La construction de tombeaux n'étaient pas autorisée dans les premiers temps de l'islam. Mais la transgression à été rapide ! La période florissante des monuments commémoratifs fut, en Asie centrale, entre les XIe et XIIe siècles et s'origine essentiellement du mouvement soufiste vénérant ses « saints » et leurs tombes. Cependant, comme l'interdiction de prier restait la règle, on ne retrouve pas dans ces monuments funéraires de mihrab ; non orientés vers La Macque,  c'est dans une petite mosquée de proximité qu'éventuellement il était possible de prier.

Anciennement, un sanctuaire funéraire pouvait se composer de quatre piliers reliés par des arcs formant un carré couvert d'une coupole ; lorsque quatre façades identiques constituaient le monument, c'était un jartak.

La mort et la vie sont intimement liées dans l'esprit du musulman et la sagesse consiste à accepter la mort ; elle est donc appréhendée avec résignation et, pour les saints, avec sérénité. D'autre part, l'islam considère qu'il y a le décès, un « pendant la mort » et un après la mort. Ce « pendant la mort » constitue « l'épreuve de la tombe ».

Lorsque, sur terre, décède le croyant, il est procédé à une toilette funéraire et le corps enveloppé d'un linceul est enterré à même la terre, couché sur le côté droit et le visage tourné vers La Mecque. Puis, viennent deux anges, Nakir et Mounkir, qui interrogent  le mort sur sa religion – c'est la rude épreuve pour laquelle, après l'inhumation, on récite la shahada au mort, afin qu'il puisse répondre correctement. 

Le temps du tombeau constitue une période d'attente, semblable à un sommeil dans le creux de la mort, qui prendra fin aux temps ultimes, au temps de la résurrection. Alors, pour aller au Paradis, il faudra encore traverser un pont, le sarat, « plus fin qu'un cheveu et plus tranchant qu'un sabre, suspendu au-dessus de l'Enfer ».

Mausolée des Samanides à Boukhara      Mausolée Ibrahim à Kashan
Mausolée des Samanides à Boukhara, Ouzbékistan © D. Tracoulat
Mausolée Ibrahim à Kashan, Iran © JC Deckmyn

Les mausolées de saints et de mystiques, mais aussi de poètes sont, pour les croyants, un lieu de pèlerinage majeur. Qu'il soit confronté au faste d'un édifice imposant ou à la simplicité d'un sanctuaire ouvert dans un jardin, le musulman donne hommage et puise ressourcement au contact de ces monuments. Les mausolées, beaux dans leurs multiples variantes, sont ainsi, sur les terres d'islam, les traces paradoxales de la splendeur éphémère.

« Je suis un oiseau ; ce corps était ma cage ; mais je me suis envolé, le laissant comme un signe ». Al Ghazali (1058/1111)

D'Hafez à Shiraz, Iran   Mausolée de Shah I Zinda à Samarcande
Mausolée du poète Hafez à Shiraz, Iran © JC Deckmyn
Mausolée de Shah I Zinda à Samarcande, Ouzbékistan © D. Tracoulat

 

Pour découvrir les splendides monuments de l'Ouzbékistan et de l'Iran, n'hésitez pas à vous embarquer sur notre parcours Les perles de l'Asie centrale ; il vous conduit sur les routes de la Soie de Samarcande à Ispahan.

Détail de la demeure Bouroudjerdi à Kashan
Détail de la demeure Bouroudjerdi à Kashan, Iran © Nawar